
Le bailleur étant tenu d'indemniser des frais de réinstallation le preneur évincé d'un fonds non transférable, sauf s'il établit que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds, la demande du locataire en paiement d'une indemnité au titre des frais de réinstallation ne peut être rejetée au motif que la perte d'un fonds de commerce n'engendre aucune réinstallation (Cass. civ. 3, 11-07-2019, n° 18-16.993, F-D).
1. La notion d’indemnité d’éviction
Un bailleur peut toujours refuser le renouvellement du bail commercial, mais il doit dans ce cas, si le preneur peut invoquer le bénéfice d’un droit au renouvellement, lui régler une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (article L. 145-14 du Code de commerce).
« Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre » (article L. 145-14 du Code de commerce).
L’indemnité d’éviction comprend une indemnité principale et des indemnités accessoires.
L’indemnité principale est une indemnité :
- de remplacement lorsque l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce exploité dans les locaux loués ;
- de déplacement lorsque ce fonds peut être transféré dans un autre local sans perte significative de clientèle.
A cette indemnité principale s’ajoutent les indemnités accessoires.
La loi vise à ce titre les « frais normaux de déménagement et de réinstallation» et les « frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur » (dénommés aussi frais ou indemnité de remploi) (article L. 145-14 du Code de commerce).
La Cour de cassation a pu définir les frais de réinstallation comme « ceux que supporte le locataire pour mettre en place dans son nouveau fond des aménagements semblables à ceux qu’il perd» (Cass. civ. 3, 6 novembre 1969, n° 68-10.325).
En pratique, entrent également dans cette catégorie des indemnités accessoires, le trouble commercial, l’indemnité de double loyer, la perte de travaux et d’agencements, les indemnités de licenciement, les frais administratifs, la perte de stock, etc.
2. Indemnités accessoires et la question de la réinstallation du locataire
Le locataire qui ne se réinstalle pas, peut-il prétendre aux indemnités accessoires qui sont liées à une réinstallation ?
Selon la Cour de cassation, même si le locataire est évincé d’un fonds non transférable, l’indemnité de remploi (Cass. civ. 3, 18-12-2012, n° 11-23.273, F-D ; Cass. civ. 3, 17-11-2016, n° 15-19.741, FS-D) et les frais de réinstallation (Cass. civ. 3, 21 mars 2007, n° 06-10.780, FS P+B ; Cass. civ. 3, 18-12-2012, n° 11-23.273, F-D ; Cass. civ. 3, 17-11-2016, n° 15-19.741, FS-D ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2017, n° 15-25.939, F-D ) restent dus.
Toutefois, certaines indemnités accessoires ne seront pas dues si le bailleur apporte la preuve de l’absence de réinstallation du locataire (Cass. civ. 3, 16-06-1993, n° 91-19.996 ; Cass. civ. 3, 17-11-2016, n° 15-19.741, FS-D ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2017, n° 15-25.939, F-D) ou s’il est établi que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds (Cass. civ. 3, 18-12-2012, n° 11-23.273).
L’arrêt rapporté rappelle cette solution.
Il s’agit de l’application de l’article L. 145-14 du Code de commerce qui dispose que l’indemnité d’éviction est « augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».
Les indemnités accessoires suivantes ne sont ainsi pas dues en l’absence de réinstallation :
- Frais de remploi : ils ne sont pas dus en toute hypothèse (Cass. com., 02-12-1998, n° 97-11.791), notamment en l’absence de réinstallation (Cass. civ. 3, 09-10-1991, n° 90-11.819 ; Cass. civ. 3, 16-06-1993, n° 91-19.996 ; Cass. civ. 3, 08-06-1995, n° 93-14.463 ; Cass. civ. 3, 26-09-2001, n° 00-12.620 ; CA Paris, 16e A, 11-02-2009, n° 07/21354 ; Cass. civ. 3, 09-11-2010, n° 09-16.683, F-D ; Cass. civ. 3, 18-12-2012, n° 11-23.273, F-D ; Cass. civ. 3, 17-11-2016, n° 15-19.741, FS-D ; CA Lyon, 28-02-2019, n° 16/06540 ; Cass. civ. 3, 28-03-2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I) ;
- Frais de réinstallation : (Cass. civ. 3, 18-12-2012, n° 11-23.273, F-D ; Cass. civ. 3, 17-11-2016, n° 15-19.741, FS-D ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2017, n° 15-25.939, F-D) ;
- Indemnité pour trouble commercial (Cass. civ. 3, 09-10-1991, n° 90-11.819 ; CA Paris, 16e, A, 11-02-2009, n° 07/21354 ; Cass. civ. 3, 09-11-2010, n° 09-16.683, F-D ; CA Lyon, 28-02-2019, n° 16/06540 ; Cass. civ. 3, 28-03-2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I) ;
- Frais de déménagement (Cass. civ. 3, 26-09-2001, n° 00-12.620 ; Cass. civ. 3, 09-11-2010, n° 09-16.683, F-D ; Cass. civ. 3, 28-03-2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I) ;
- Frais administratifs (Cass. civ. 3, 09-11-2010, n° 09-16.683, F-D, précité).
3. La preuve de l’absence de réinstallation
En pratique, la preuve de l’absence de réinstallation du preneur est difficile à rapporter car il peut rester dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction (article L. 145-28 du Code de commerce).
La preuve de l’absence de réinstallation peut résulter :
- De l’affirmation par le locataire dans ses conclusions qu’il prenait sa retraite (Cass. civ. 3, 08-06-1995, n° 93-14.463) ;
- De l’absence de contestation par le locataire qu’il cessera son activité lorsqu'il aura perçu l'indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 09-10-1991, n° 90-11.819) ;
- Si le locataire a cessé toute activité (Cass. civ. 3, 26-09-2001, n° 00-12.620) ;
- Si le locataire a donné son fonds en location gérance et qu’il n’envisage pas de se réinstaller (CA Paris, 16e, A, 11-02-2009, n° 07/21354) ;
- Si le locataire, âgé de 77 ans au jour du jugement a apposé sur sa vitrine l’autorisation de liquider son stock pour « cessation d'activité » et qu’il ne présente aucun projet précis de réinstallation (Cass. civ. 3, 09-11-2010, n° 09-16.683, F-D).
La preuve de l’absence de réinstallation ne peut résulter :
- du seul fait de l’atteinte de l'âge légal de la retraite (CA Paris, 5, 3, 10-02-2016, n° 14/01636) ;
- de l’absence de réinstallation quatre années après la restitution des locaux (CA Aix-en-Provence, 11-02-2010, n° 08/10170).
4. La réinstallation incertaine
Si la réinstallation du locataire est incertaine, mais que la preuve de l’absence de réinstallation définitive n’est pas établie, l’indemnisation pourra être subordonnée à une réinstallation effective sur justificatifs, les indemnités complémentaires devant être consignées (CA Paris, 16, A, 02-04-1996, n° 95/17351 ; CA Paris, 5, 3, 07-06-2017, n° 15/09238).
5. L’absence de réinstallation postérieure à la décision ayant accordé des indemnités accessoires
Dans le cas où, postérieurement à la décision qui lui aura accordé des indemnités pour sa réinstallation, il est prouvé que le locataire ne se réinstallera pas, le bailleur peut-il solliciter le remboursement de ces indemnités ?
L’autorité de la chose jugée aurait pu faire obstacle à une telle demande.
Dans le cas d’une fraude, ce droit avait été reconnu au bailleur (Cass. civ. 3, 26-09-2001, n° 99-21.778, inédit).
La solution a été admise de manière plus générale dans une décision 28 mars 2019 (Cass. civ. 3, 28-03-2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I).
Dans ce dernier arrêt, la Haute cour précise que l’autorité de la chose jugée, qui peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, ne fait pas obstacle à la demande du bailleur en répétition des indemnités de remploi, pour trouble commercial et pour frais de déménagement, lorsque le locataire ne s’est pas réinstallé postérieurement à la décision irrévocable ayant condamné le bailleur à régler ces indemnités.
Julien PRIGENT
MUTELET-PRIGENT & ASSOCIES
Avocats à la cour d’appel de Paris