Bail commercial, TVA et droit d’entrée

Le droit d'entrée dû lors de la conclusion d'un bail commercial doit, en principe, être regardé comme un supplément de loyer qui constitue, avec le loyer lui-même, la contrepartie d'une opération unique de location, et qui est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au même titre que celui-ci, et non comme une indemnité destinée à dédommager le bailleur d'un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine (CE 3/8 ch.-r., 15-02-2019, n° 410796)

 


Faits

 

En l’espèce, un locataire s’était vu consentir en 2008 un bail commercial pour une durée de dix ans portant sur un local d'une surface de 108 mètres carrés qui était antérieurement occupé et où il souhaitait exercer une activité de vente de vêtements.

 

Le contrat prévoyait un loyer annuel de 154 000 euros et un droit d'entrée de 600 000 euros hors taxe qui a été facturé, le jour de la prise d'effet du bail, avec la taxe sur la valeur ajoutée correspondante.

 

Le locataire avait déduit un montant de 117 600 euros correspondant à cette taxe sur sa déclaration du mois d'octobre 2008.

 

A la suite d'un contrôle, l'administration en avait remis en cause la déductibilité et mis à la charge du locataire le rappel de taxe correspondant.

 

Par un jugement du 13 janvier 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du locataire tendant à la décharge de ce rappel de taxe.

 

Il s’est pourvu en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

 

Le droit d’entrée est en principe soumis à TVA

 

Le Conseil d’Etat a fait droit à cette demande d’annulation au motif que le droit d'entrée dû lors de la conclusion d'un bail commercial doit, en principe, être regardé comme un supplément de loyer qui constitue, avec le loyer lui-même, la contrepartie d'une opération unique de location, et qui est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au même titre que celui-ci, et non comme une indemnité destinée à dédommager le bailleur d'un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine.

 

Le Conseil d’Etat relève également que la seule circonstance que le bail commercial se traduise, pour le preneur, par la création d'un élément d'actif nouveau, compte tenu du droit au renouvellement du bail que celui-ci acquiert, ne suffit pas pour caractériser une telle dépréciation. En l’espèce, le locataire avait porté en immobilisation l'acquisition d'un fonds de commerce pour un montant de 600 000 euros.

 

Il peut être souligné que la solution a été énoncée alors même que le bail stipulait que le droit d'entrée restera « définitivement acquis au bailleur, dès la prise d'effet du bail, en contrepartie des avantages de la propriété commerciale conférée au preneur ».

 

La décision rapportée, pour maintenir la qualification de supplément de loyer, retient qu’il résultait de l'instruction que le droit d'entrée avait été justifié, selon le bail, par le fait que « le bailleur met à la disposition du preneur un local dans un centre bénéficiant d'une attractivité commerciale préexistante ».

 

Il ne pouvait donc être regardé, pour ce motif, comme constituant la contrepartie de la cession d'un élément de fonds de commerce qui serait distinct, au plan économique, du droit au renouvellement du bail, ni comme une indemnité destinée à dédommager le bailleur d'un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine. Ce droit d’entrée devait donc être analysé comme un supplément de loyer qui constitue, avec le loyer lui-même, la contrepartie d'une opération unique de location et qui est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au même titre que celui-ci.

 

Le Conseil d’Etat vise également :

 

  • le premier alinéa de l'article 19 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajouté ;

 

  • l'article 257 bis du Code général des impôts, portant transposition de cette directive : « Les livraisons de biens, les prestations de services () réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens » ;

 

  • l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée du premier alinéa de l'article 19 de la directive 2006/112/CE dans son arrêt du 19 décembre 2018, Mailat e.a. (C-17/18) selon laquelle la notion de « transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens » ne couvre pas l'opération par laquelle un bien immeuble qui servait à une exploitation commerciale est donné en location.

 

 

La qualification de supplément de loyer devait donc être maintenue.

 

Julien PRIGENT

MUTELET-PRIGENT & ASSOCIES

Avocats à la cour d’appel de Paris