L’effet suspensif du prononcé d’une mesure d’expertise (article 2239 du Code civil) ne profite qu’à celui qui l’a sollicitée

La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du Code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit (Cass. civ. 2, 31-01-2019, n° 18-10.011, F-P+B). 


 

FAIT ET PROCÉDURE

 

 

En l’espèce, le maître d’ouvrage se plaignant de malfaçons résultant de travaux de couverture confiés à une entreprise, avait assigné l’entreprise qui les avait exécutés, le 23 septembre 2009, devant le juge des référés, aux fins d’expertise judiciaire.

 

 

Il avait obtenu, par ordonnance du 3 novembre 2009, la désignation d'un expert.

 

 

Il ne résultait par de cette ordonnance que l’entreprise avait sollicité, même à titre provisionnel, le règlement de ses factures.

 

 

Après dépôt du rapport d'expertise, le maître d’ouvrage avait saisi un tribunal de commerce à fin d'indemnisation.

 

 

L’entreprise a sollicité, reconventionnellement et pour la première fois le 5 mars 2015, la condamnation du maître d’ouvrage au paiement de ses factures.

 

 

Le tribunal ayant accueilli les demandes respectives des parties, le maître d’ouvrage a relevé appel du chef du jugement accueillant la demande de l’entreprise à son encontre.

 

 

La Cour d’appel a jugé irrecevable, comme prescrite, la demande de règlement de factures formée contre le maître d’ouvrage dans la mesure où plus de cinq ans s’étaient écoulés (C. civ., art. 2224) entre la plus récente des factures (5 mai 2009) et la demande de règlement du 5 mars 2015.

 

 

L’entreprise s’est pourvue en cassation.

 

 

LA PORTÉE DE L’EFFET SUSPENSIF DU PRONONCE D’UNE MESURE D’INSTRUCTION AVANT TOUT PROCÈS

 

 

L’entreprise soutenait qu’en application de l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, lorsqu'une instance a été introduite après l'entrée en vigueur de ladite loi, l'action est jugée conformément à la loi nouvelle.

 

 

Selon elle, les articles suivants relatifs à l’interruption et à la suspension du délai de prescription, issus de la loi précitée du 17 juin 2008, étaient donc applicables :

 

 

 

« la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

 

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

 

 

 

« la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ».

 

 

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser  que les dispositions de l'article 2239 du Code civil, issues de la loi du 17 juin 2008, qui attachent à une décision ordonnant une mesure d'instruction avant tout procès un effet suspensif de la prescription jusqu'au jour où la mesure a été exécutée, s'appliquent aux décisions rendues après l'entrée en vigueur de cette loi (Cass. civ. 3, 06-07-2017, n° 16-17.151, F-P+B).

 

 

Il peut être noté que l’élément déclencheur de l’application des nouvelles dispositions de l’article 2239 du Code civil est, aux termes de cet arrêt, la décision qui ordonne l’expertise. Elles sont donc applicables même si l’instance a été introduite antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 dès lors que la décision ordonnant la mesure d’instruction est postérieure à cette date.

 

 

L’entreprise soutenait aussi que si la prescription est interrompue seulement au profit du demandeur en référé, elle est en revanche suspendue au profit de toutes les autres parties, le délai recommençant à courir, pour ces parties, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

 

 

La Cour d'appel ne pouvait donc, selon elle, déclarer irrecevable la demande de paiement de l’entreprise à l'encontre du maître d’ouvrage, au motif que l'assignation en référé n'avait eu d'effet que pour le maître d’ouvrage.

 

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi.

 

Elle précise que la suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du Code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.

 

 

Cette décision ne se prononce pas directement sur l’articulation de l’effet interruptif de la demande en justice et de l’effet suspensif du prononcé d’une mesure d’instruction, notamment que la question de savoir si l’article 2239 du Code civil exclurait l’application de l’article 2241 de ce code.

 

 

La Cour de cassation évoque néanmoins l’interruption de la prescription au profit de la partie qui a sollicité cette mesure, tout en envisageant des cas où cette interruption n’aurait pas lieu (« le cas échéant »).

 

   

Julien PRIGENT

MUTELET-PRIGENT & ASSOCIES

Avocats à la cour d’appel de Paris