Bail commercial et exclusion du droit de préemption en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts : sur la notion de « locaux commerciaux »

Un locataire ne peut se voir refuser le bénéfice d’un droit de préemption en cas de vente des locaux loués au motif que la vente envisagée porte également sur un lot qui n’est pas inclus dans l’assiette du bail et que ce lot ne serait pas « un local commercial distinct », alors que le règlement de copropriété le destine à un usage commercial (Cass. civ. 3, 15-11-2018, n° 17-26.727).

 


 

Faits

 

Par acte sous seing privé en date du 26 mars 2002, le propriétaire de plusieurs lots au sein d'un immeuble avait donné à bail commercial un local à usage de garage pour location de voitures.

 

Par acte notarié du 16 janvier 2017, le propriétaire avait consenti une promesse de vente à un tiers sur l'ensemble de ses lots, expirant le 21 avril 2017.

 

Par acte d'huissier du 10 février 2017, le locataire a fait assigner le propriétaire en référé pour qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte de réitérer la vente avant que son droit de préférence instauré par l'article L. 145-46-1 du Code de commerce soit purgé.

 

Solution retenue par la cour d’appel

 

Débouté de sa demande en première instance, le locataire avait interjeté appel en assignant en intervention forcée dans le cadre de cette procédure le bénéficiaire de la promesse.

 

Il demandait à la cour de :

  • constater qu'il bénéficie du droit de préférence du locataire de locaux commerciaux ;
  • enjoindre au propriétaire de procéder à son profit aux notifications prescrites par l'article L.145-46-1 du Code de commerce sous astreinte ;
  • faire interdiction au propriétaire et au bénéficiaire de la promesse de finaliser la vente des locaux objet du bail et le cas échéant de réitérer la promesse de vente, sous quelque forme que ce soit, et, pour le propriétaire de procéder à la vente à un tiers desdits locaux, avant que le droit de préférence du locataire ne soit purgé.

 

 

L’objet de la discussion

 

Un débat s’est instauré en raison du fait qu’était inclus dans le périmètre de la promesse de vente un lot qui avait fait l’objet d’un bail consenti à un autre locataire, lot à usage commercial aux termes du règlement de copropriété mais dont l’usage effectif était l’habitation et qui était décrit à l’état descriptif de division comme un logement.

 

L’exclusion du droit de préemption « en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts » et la notion de « locaux commerciaux » 

 

Le droit de préemption dont bénéficie un locataire titulaire d’un bail commercial, en cas de vente des locaux loués, est en effet exclu « en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts » (C. com., art. L. 145-46-1).

 

En conséquence, soit le local correspondant au lot précité est un « local commercial distinct », auquel cas le droit de préemption du locataire ne s’applique pas, soit ce local n’est pas un « local commercial distinct », auquel cas le locataire bénéficie d’un droit de préemption.

 

La cour d’appel avait estimé que ce lot n’était pas « un local commercial distinct » en raison du fait que l’état descriptif de division le décrivait comme un logement et qu’il était affecté concrètement à cet usage depuis plusieurs années.

 

Elle avait en conséquence considéré que le locataire bénéficiait d’un droit de préemption et elle avait fait droit à ses demandes.

 

Le bailleur s’est pourvu en cassation, soutenant notamment que la destination du local vendu, dépendant d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, résulte du règlement de copropriété et que l'état descriptif de division dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière n'a pas de caractère contractuel, sans qu’il puisse être tenu compte de l'usage que le locataire ou l'occupant a pu faire de la chose louée.

 

Dans un immeuble en copropriété, la notion de « locaux commerciaux » serait à apprécier au regard de la destination stipulée au règlement de copropriété

 

La Cour de cassation a accueilli le pourvoi du bailleur au visa des articles L. 145-46-1 du Code de commerce et 8 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis en précisant que « seul le règlement de copropriété a valeur contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

 

L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que « un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes ».

 

La solution, selon laquelle seul le règlement de copropriété a valeur contractuelle, ce que n’a pas en principe un état descriptif de division, n’est pas nouvelle (Cass. civ. 3, 07-09-2017, n° 16-18.331, F-P+B).

 

Elle est souvent rappelée en matière de destination des lots de copropriété (Cass. civ. 3, 07-09-2011, n° 10-14.154, FS-P+B ; Cass. civ. 3, 09-09-2008, n° 07-16.881, F-D ; Cass. civ. 3, 14-12-1999, n° 96-12.963 ; Cass. civ. 3, 02-02-1999, n° 97-13.814 ; Cass. civ. 3, 03-06-1998, n° 96-20.142).

 

La Cour de cassation a précisé également que l’état descriptif de division n’avait pas de valeur contractuelle même s’il était inclus dans le règlement de copropriété (Cass. civ. 3, 14-12-1999, n° 96-12.963, inédit) ou en cas de publication postérieure au règlement de copropriété d'un nouvel état descriptif de division (Cass. civ. 3, 07-09-2011, n° 10-14.154, FS-P+B).

 

L’état descriptif de division, en fonction des stipulations du règlement de copropriété, peut cependant avoir une valeur contractuelle (Cass. civ. 3, 13-12-2018, n° 17-23.008, FS-D), notamment en ce qui concerne la destination des lots (Cass. civ. 3, 18-11-1992, n° 91-16.078 ; Cass. civ. 3, 06-07-2017, n° 16-16.849, FS-P+B+I).

 

L’originalité de la solution dans l’arrêt rapporté du 18 novembre 2018 réside dans le fait que la notion de « local commercial distinct » est appréciée au regard de sa destination telle qu’elle est fixée au règlement de copropriété.

 

Il convient donc de se référer au règlement de copropriété, voire à l’état descriptif de division s’il a une valeur contractuelle, étant néanmoins précisé, à tout le moins pour le règlement de copropriété, que ce dernier n’apportera pas nécessairement de réponse précise pour un lot en particulier, ce qui laissera entière la question des critères à mettre en œuvre pour déterminer s’il a ou non la qualité de « local commercial ».

 

Julien PRIGENT

MUTELET-PRIGENT & ASSOCIES

Avocats à la cour d’appel de Paris