
Si le notaire ne peut être responsable des conséquences d'un fait dont il n'a pas eu connaissance et s'il n'est pas tenu d'effectuer des vérifications procédant d'une situation qu'il ignore, il lui appartient en revanche, lorsque les éléments dont il dispose lui permettent de déceler des difficultés ou de douter de l'exactitude des déclarations des parties ou de la clarté d'une situation, de procéder à des investigations complémentaires ou à tout le moins d'interroger les parties en présence aux fins de les conseiller et d'assurer l'efficacité de son acte. Il engage en conséquence sa responsabilité dans le cadre d’une vente immobilière lorsque les documents en sa possession relatifs à la surface du bien permettaient de déceler une difficulté, ce d’autant qu’une partie du bien était constitué d’un droit de jouissance exclusif sur un toit-terrasse (CA Paris, 2, 1, 16-10-2018, n° 17/07450).
Faits
En l’espèce, un acte de vente avait été conclu le 8 février 2012 moyennant un prix 999 000 euros et portant, selon les termes de cet acte, sur :
- un appartement de 68 mètres carrés au 9e étage constitué d'un hall, living, chambre, cuisine, salle de bain, wc et placards, accès intérieur communiquant avec le débarras situé au 10e étage et balcon de retrait sur la façade d'une superficie d'environ 23
- au 10e étage, un débarras et le droit de jouissance de la terrasse d'une superficie d'environ 56 mètres carrés environ formant toiture du 9e étage et située au-dessus de l'appartement.
Le vendeur avait déclaré que la superficie des lots vendus répondant aux caractéristiques de l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965 était de 74,51 mètres carrés selon le mesurage effectué le 29 mars 2011.
L’acheteur avait fait réaliser d'importants travaux de rénovation puis souhaité revendre le bien.
Un projet de promesse de vente moyennant prix de 1 250 000 euros avait été établi et devait être reçu le 12 février 2014. Ce projet d'acte mentionnait une surface loi Carrez déclarée de 68,81 mètres carrés.
Le 11 février 2014, le notaire avait informé le propriétaire que le projet devait être modifié dès lors qu'il était apparu que la cuisine construite sans autorisation sur le toit terrasse et constituant une partie commune devait être exclue du mesurage loi Carrez.
Le 13 février 2014, le candidat acquéreur avait fait savoir qu'il acceptait de régulariser l'acte mais au prix de 1 200 000 euros et qu’il s'engageait à ne pas exercer d'action.
L'acte de vente a été régularisé par acte reçu le 7 mars 2014 au prix de 1 200 000 euros dont 25 000 euros au titre du mobilier, reprenant le descriptif du bien résultant du règlement de copropriété, pour une surface d'environ 68 mètres carrés, et la déclaration par le vendeur de la surface selon le certificat de mesurage loi Carrez pour 60,21 mètres carrés, étant précisé que ce mesurage ne concernait ni la cuisine du 10e étage qui constituait une partie commune, ni le débarras du 10e étage exclu au motif qu'il s'agissait de la fraction de lot inférieure à 8 mètres carrés.
Le vendeur, considérant que le notaire qui avait reçu le premier acte de vente (8 février 2012) avait manqué à son devoir de conseil à cette occasion, a engagé à son encontre une action en responsabilité.
La Cour d’appel de Paris, dans l’arrêt rapporté, a fait droit à ses demandes.
Sur la faute du notaire
La Cour d’appel retient une faute du notaire.
Elle relève que :
- aux termes de l'acte qu'il a reçu le 8 février 2012, le notaire a mentionné au titre de la description du bien une surface d'environ 68 mètres carrés et au titre de la déclaration de surface du vendeur une surface de 74,51 mètres carrés, telle qu'elle ressort du certificat loi Carrez établi le 29 mars 2011, soit une différence de 6,51 mètres carrés ;
- il ressort du descriptif de l'appartement repris à l'acte que celui-ci comporte deux pièces principales, une chambre et un living, outre l'entrée, la cuisine, la salle de bain et le débarras du 10e étage alors que le certificat loi Carrez mentionne, outre ces locaux accessoires, trois pièces principales : une chambre, un séjour et un salon, étant précisé que ce certificat ne ventilait pas les pièces entre le 9e et le 10e étages.
Elle précise que si le notaire ne peut être responsable des conséquences d'un fait dont il n'a pas eu connaissance et s'il n'est pas tenu d'effectuer des vérifications procédant d'une situation qu'il ignore, il lui appartient en revanche, lorsque les éléments dont il dispose lui permettent de déceler des difficultés ou de douter de l'exactitude des déclarations des parties ou de la clarté d'une situation, de procéder à des investigations complémentaires ou à tout le moins d'interroger les parties en présence aux fins de les conseiller et d'assurer l'efficacité de son acte.
Or, la Cour d’appel a estimé que le notaire aurait dû déceler les difficultés au regard :
- des contradictions apparaissant dans les surfaces et dans la description du bien, et ce alors que la différence de 6,51 mètres carrés était loin d'être négligeable compte tenu du prix au mètre carré (soit 13 407,59 euros/mètre carré pour une superficie de 74,51 m2). Elles étaient de nature à faire douter de l'exactitude de la surface déclarée par le vendeur et devaient conduire le notaire, qui était en possession du règlement de copropriété mentionnant une superficie de 68 mètres carrés, à interroger les parties sur les incohérences apparentes ;
- du fait qu'une partie du bien était constituée du droit de jouissance exclusive du toit terrasse situé au 10e étage, dont il n'était pas fourni de plan, et que le notaire ne peut raisonnablement ignorer les difficultés susceptibles de se poser en raison de construction sur un toit terrasse et doit se montrer particulièrement vigilant à ce titre ;
- du fait que si la surface d'un appartement peut varier en fonction de l'évolution des règles de métrage et du réaménagement intérieur des espaces, la différence de surface était à la hausse, ce qui est pour le moins inhabituel.
Le notaire avait donc manqué à son devoir de conseil.
Sur le préjudice
Le vendeur invoquait un préjudice lié à la perte de la possibilité d'engager une action en restitution du moindre prix sur le fondement de l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965 qui lui aurait permis d’obtenir la condamnation de son propre vendeur au paiement de la somme de 114 435,45 euros selon son estimation.
La Cour d’appel n’a pas retenu ce préjudice car il était mentionné à l'acte que le notaire avait rappelé aux parties les termes de ces dispositions, satisfaisant ainsi à son obligation d'information, le notaire n'étant pas responsable du fait que le vendeur n'ait pas engagé une telle action dans le délai d'un an prescrit par la loi.
En revanche, elle a estimé que le vendeur avait perdu une chance certaine de voir révéler, lors de son acquisition en 2012, la difficulté provenant de la présence sur le toit terrasse d'une pièce édifiée sans autorisation sur une partie commune et par conséquent l'inexactitude de la surface du lot vendu mentionnée dans le certificat loi Carrez qui a tenu compte à tort de la superficie de cette pièce. En effet, si le notaire avait alerté les parties, et en particulier l'acquéreur, sur l'incohérence des surfaces, et conseillé à ceux-ci d'autres investigations, la présence de la pièce litigieuse aurait été révélée et la surface corrigée. Il a ainsi perdu une chance de pouvoir discuter du prix d'acquisition qui avait été fixé à 999 000 euros en considération des caractéristiques du bien, de sa superficie et du prix du marché et de payer un prix moindre compte tenu de la surface du bien ne comprenant pas l'annexion des parties communes.
Sur l’évaluation de cette perte de chance d’acquérir à un prix moindre, le Cour d’appel relève qu’il est apparu lors de la revente du bien en 2014 que la superficie loi Carrez déclarée était de 60,21 mètres carrés, soit une différence de plus de 13 mètres carrés par rapport au mesurage de 2011, la différence provenant pour l'essentiel de la non prise en compte de la pièce supplémentaire construite sans autorisation et transformée en cuisine par le vendeur et du débarras, retenus dans le certificat de superficie de 2011 respectivement pour 8,09 mètres carrés et 5,01 mètres carrés.
Compte tenu de la spécificité du bien qui comprend le droit de jouissance exclusif d'une terrasse au 10e étage, directement accessible de l'appartement situé au 9e étage, sa valeur ne peut se calculer en considération des seuls mètres carrés habitables tels que définis par les articles 4-1, 4-2 et 4-3 du décret du 17 mars 1967 et par conséquent la perte de chance ne peut correspondre à la valeur des mètres carrés à tort inclus dans le mesurage loi Carrez, étant observé qu'après que la difficulté eut été révélée en 2014, entre la signature de la promesse et celle de l'acte authentique, le vendeur a consenti à son acquéreur une diminution du prix de 50 000 euros et non pas d'une somme équivalent au prix des mètres carrés non inclus dans le mesurage loi Carrez.
Le préjudice subi au titre de la perte de chance d'avoir pu acquérir à un prix moindre en 2012 a donc été évalué à la somme de 50 000 euros que le notaire a été condamné à payer.
Julien PRIGENT
Avocat à la Cour d'appel de Paris