Bail commercial, dénégation du droit au statut des baux commerciaux et principe de l'estoppel

Les défenses au fond pouvant être invoquées en tout état de cause, un bailleur qui a délivré un congé avec refus de renouvellement peut, au cours de l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction, dénier l'application du statut des baux commerciaux (Cass. civ. 3, 03-11-2016, n° 15-25.427, FS-P+B).

 


FAITS ET PROCÉDURE

 

En l’espèce, diverses parcelles de terre avaient été données à bail pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 1994. Cette convention avait été renouvelée jusqu'au 31 décembre 2011.

 

Le 30 juin 2011, la commune avait délivré au preneur un congé « sans offre de renouvellement de bail commercial » pour le 31 décembre 2011 « en application de l'article L. 145-14 du code de commerce » et rappelant les termes du dernier alinéa de l'article L. 145-9 du même code relatif à l'exercice du droit du locataire de contester le congé ou de demander une indemnité d'éviction.

 

Le locataire a alors saisi le tribunal de grande instance en paiement d'une indemnité d'éviction, demande à laquelle s'est opposée la commune en déniant le statut des baux commerciaux.

 

Les juges du fond ont fait droit à la demande du locataire en affirmant, au nom du principe de cohérence (estoppel), que le bailleur ne pouvait dénier au preneur un droit au renouvellement sans se contredire au détriment du preneur, dès lors qu’il lui reconnaissait précédemment ce droit acquis aux termes du congé avec offre d’indemnité d’éviction.

 

La décision est censurée par la Cour de cassation qui affirme, au visa de l’article 72 du Code de procédure civile que « les défenses au fond pouvant être invoquées en tout état de cause, un bailleur qui a délivré un congé avec refus de renouvellement peut, au cours de l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction, dénier l'application du statut des baux commerciaux ».

 

OBSERVATIONS

 

Il est admis depuis longtemps que le bailleur qui a initialement offert le renouvellement ou le paiement d'une indemnité d'éviction peut ensuite rétracter son offre si les conditions d'application du statut des baux commerciaux ou plus spécifiquement du droit au renouvellement ne sont pas remplies (Cass. com., 12-10-1960, n° 59-10.476, SOCIETE ANONYME DES AUTOS TRANSPORTS DU CHABLAIS ET FAUCIGNY c/ DEMOISELLE DETRAZ, Bull. civ. IV, n° 320 ;  Cass. civ. 3, 09-03-2011, n° 10-10.973, société Trigo Immo, FS-D), même s'il avait eu connaissance lors de la délivrance du congé de la cause justifiant cette dénégation du droit au renouvellement, notamment le défaut d'immatriculation (Cass. civ. 3, 23-02-1994, n° 92-15.473, Mme Thibon de Courtry c/ Société Compagnie Fives Lille et autres ; Cass. civ. 3, 06-11-2001, n° 96-19.528, M. Slobodan Cirkovic, F-D).

 

Cette solution semblait avoir été remise en cause par un arrêt du 30 mai 2006 dans lequel la Cour de cassation a censuré les juges du fond qui avaient validé l'acte de rétractation de l'offre de renouvellement de bailleurs « sans constater la survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu des bailleurs lorsque ceux-ci ont donné leur accord sur le renouvellement » (Cass. civ. 3, 30-05-2006, n° 05-15.590, M. Joseph Frejus c/ Mme Manuela Crossman, F-D).

La Cour de cassation a ensuite également affirmé que le bailleur « peut à tout moment de la procédure soutenir que le statut des baux commerciaux n'est pas applicable en l'absence de l'une des conditions essentielles de l'existence du droit au renouvellement », sans préciser qu'il soit nécessaire de constater la survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu des bailleurs lors de la délivrance de l'acte (Cass. civ. 3, 18-01-2011, n° 09-71.910, Mme Jeannne Prigent, veuve Delange, F-D ; voir en ce sens également, à propos du défaut d'immatriculation, CA Paris, pôle 5, ch. 3, 9 janv. 2013, RG n° 10/23525, Rev. loyers 2013/935, n° 1545).

 

La Haute cour a aussi précisé que la rétractation pour défaut d'immatriculation pouvait intervenir pendant toute la durée de la procédure en fixation du loyer, même s'il en était informé à la date du congé avec offre de renouvellement, la renonciation du bailleur à se prévaloir de l'absence de droit au statut ne pouvant résulter de sa seule connaissance du défaut d'immatriculation du locataire (Cass. civ. 3, 19-11-2015, n° 14-22.000, F-D, Loyers et copr. 2016, comm. n° 14, note Chavance E.).

 

L'arrêt rapporté du 3 novembre 2011 permet de répondre à la question de savoir si le principe de l'estoppel, principe issu de la common law, qui interdit de se contredire au détriment d'autrui et qui est parfois appliqué en droit français (voir par exemple, en matière de bail commercial CA Versailles, 08-03-2016, n° 14/04340), pourrait s'opposer au droit de rétractation du bailleur aux fins de dénégation du droit à l'application du statut des baux commerciaux ou du droit au renouvellement.

 

La Cour de cassation répond par la négative, au visa de l'article 72 du Code de procédure civile, qui dispose que "les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause".

 

Julien PRIGENT

Avocat - Paris

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