
L'indivisaire qui a notifié aux autres indivisaires son intention de céder ses droits indivis à un tiers peut renoncer à son projet malgré la manifestation de volonté d'un indivisaire d'exercer son droit de préemption (Cass. civ. 1, 09-02-2011, n° 10-10.759, M. Jean-Claude Motais de Narbonne, FS-P+B+I).
1. Les faits
En l'espèce, certains héritiers membres d'une indivision successorale ont envisagé de céder leurs droits indivis sur des immeubles dépendant de la succession. Ils ont à cette fin notifié à leurs coïndivisaires les conditions de la vente projetée.
Des coïndivisaires ont fait connaître leur intention d'exercer leur droit de préemption. En raison d'une contestation sur le montant des frais, l'acte de vente n'a finalement pas été signé.
Les coïndivisaires auxquels les conditions de la vente avaient été notifiées ont sollicité judiciairement que soit constaté le caractère parfait de la vente des droits indivis à leur profit.
Les premiers juges, approuvés par la Cour de cassation, ont rejeté cette demande.
2. Le droit
Aux termes de l'article 815-14 du Code civil, l'indivisaire qui entend vendre à une personne étrangère à l'indivision, ses droits dans un biens indivis, est tenu de notifier aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir (C. civ., art. 815-14).
Toujours selon ce texte, tout indivisaire peut, dans le mois qui suit cette notification, faire connaître au cédant qu'il exerce un droit de préemption aux prix et conditions qui lui ont été notifiées. Il dispose alors pour la réalisation de la vente d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au vendeur. Passé ce délai, sa déclaration de préemption est nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure restée sans réponses, sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent lui être demandés par le vendeur.
Si la loi envisage en conséquence le cas d'une vente qui ne s'effectuerait pas, à la suite de l'exercice par un indivisaire de son droit de préemption en raison d'un refus de ce dernier, elle est en revanche silencieuse sur l'hypothèse où c'est l'indivisaire vendeur qui ne donnerait pas suite à son projet de vente.
Les indivisaires qui avaient exercé leur droit de préemption soutenaient dans l'arrêt rapporté que la notification du projet de cession de ses droits indivis faite par un indivisaire à ses coïndivisaires titulaires d'un droit de préemption valait offre de vente et que leur acceptation de cette offre, avant qu'elle ne soit retirée, avait rendu la vente parfaite.
La Cour de cassation rejette cette argumentation dont elle considère la prémice erronée.
En effet, elle précise que la notification, faite par un indivisaire au titulaire du droit de préemption, de l'intention de céder des droits indivis ne vaut pas offre de vente. Dès lors, l'indivisaire qui exerce son droit de préemption ne peut s'appuyer sur l'existence d'un échange de consentements pour soutenir qu'un contrat de vente se serait formé dès la déclaration de préemption.
La Cour de cassation s'était déjà prononcé en ce sens en affirmant que "à défaut de disposition le précisant dans l'article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d'éviter l'intrusion d'un tiers étranger à l'indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l'intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente" (Cass. civ. 1, 05-06-1984, n° 83-10.660, Canese c/ Mlle Canese).
L'indivisaire qui a fait cette notification peut donc toujours renoncer à son projet malgré la manifestation de volonté d'un autre indivisaire d'exercer son droit de préemption.
Julien PRIGENT
Avocat - Paris